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dans le sein de sa nourrice et pousse un cri d'effroi. Son père et sa mère sourient de sa frayeur. Le héros ôte aussi-tôt et pose à terre son casqué éclatant; il baise son fils avec tendresse, le berce doucement entre ses bras, et adresse à Jupiter et aux autres dieux cette prière.

Il me semble que la première traduction est plus rapide, plus harmonieuse, plus poétique; mais, en anglais, quel rythme enchanteur! quelle harmonie imitative dans ce vers :

The babe clung crying to his nurse's breast!

Dans la tristesse des adieux comme le secret pleasure peint fidèlement la nature! que ces glittering terrors sont une expression heureuse! et à la fin, une prière est, dans Bitaubé, un mot bien froid, tandis que a father's pray'r, la prière d'un père, brille de sentiment.

Cependant il est à regretter que Pope ait employé près de trente- trois mille beaux vers à traduire l'Illiade et l'Odissée,

au lieu d'avoir choisi un sujet national et d'être devenu véritablement un poëte épique.

L'ÆNÉIDE a eu, chez les anglais, deux traducteurs, Dryden et Pitt, et pourtant Virgile n'est pas encore aussi bien traduit qu'Homère. Johnson, en comparant ensemble les deux Ænéides anglaises, préfère, chez Pitt, les détails; l'ensemble chez Dryden. Je ne citerai que quatre vers du commencement d'un discours de Didon à Enée, en les faisant précéder des traductions françaises que je connais :

Non, cruel, tu n'es point le fils d'une déesse;
Tu suças en naissant le lait d'une tigresse,
Et le Caucase affreux t'engendrant en courroux,
Te fit l'âme et le cœur plus durs que ses cailloux.

L'abbé BOILEAU.

Et tu serais le sang des dieux et des héros !
Et Vénus est ta mère, et tu descends de Tros!
Toi, perfide! ah! je cède au courroux qui m'embrase;

Des tigres t'ont nourri, barbare, et du Caucase Les horribles rochers de leurs flancs t'ont vomi.

PARSEVAL-GRANDMAISON, amours épiques.

Non, tu n'es pas le fils de la tendre Vénus!
Non, cruel, tu n'es pas du sang de Dardanus!
Le Caucase glacé te donna la naissance;
Les tigres d'Hircanie ont nourri ton enfance.

GASTON, Eneide.

Non, tu n'es point le fils de la mère d'amour!
Non, au sang de Teucer tu ne dois point le jour!
N'impute pas aux dieux la naissance d'un traître;
Non, du
sang des héros un monstre n'a pu naître!
Non. Le Caucase affreux, t'engendrant en fureur,
De ses plus durs rochers fit ton barbare cœur;
Et du tigre inhumain la compagne sauvage;
Cruel, avec son lait t'a fait sucer sa rage.

DELILLE, Æneide.

Ces derniers vers, je l'avoue, me paraissent bien négligés: quatre fois non, deux fois sang; naître à côté de naissance; les épithètes cumulées de traître, dur, barbare, inhumain, sauvage; cette consonnance sucer sa; et la mère d'amour,

et huit vers pour en rendre trois! ce passage fait mal à un admirateur du chantre des jardins.

Voici les traductions anglaises :

False as thou art, and more than false, forsworn;
Not sprung from noble blood, nor goddess-born!
But hewn from harden'd entrails of a rock,
And rough Hircanian tigers gave thee suck!*

DRYDEN, Æneid.

Perfidious monster, boast thy birth no more!
No hero got thee, and no goddess bore!

No! thou wert brought by Scythian rocks to day!
By tigers nurs'd and savages of prey,

But far more rugged, wild and fierce than they!**

PITT, Æneid.

* Infidèle que tu es, et plus qu'infidèle, parjure! non issu d'un noble sang, ni né d'une déesse ; mais taillé dans les entrailles endurcies d'un roc, et les tigres cruels d'Hircanie t'ont allaité!

Monstre perfide, ne vante plus ta naissance! un héros ne t'engendra point, une déesse ne t'a point porté !

Non! tu fus tiré des rochers de la Scythie, nourri par des tigres et des animaux de proie mais plus barbare et plus cruel qu'eux.

Ce n'est pas ainsi que Pope aurait traduit les trois beaux vers de Virgile.

Je ne puis résister au plaisir de citer un autre passage également bien connu; il est pris encore dans un discours de Didon :

Si de mes feux au moins quelque gage chéri,
Caressé dans mes bras et sur mon sein nourri,
Eût, avant ton départ, charmé notre hyménée,
Si quelqu'Enée enfant m'offrait les traits d'Enée,
Le voyant folátrer sous mes yeux, dans ma cour;
Je n'aurais pas, hélas! perdu tout en un jour!

PARSEVAL-GRANDMAISON.

Ah, si de notre amour

Un rejetton chéri s'élevait dans ma cour,
Mon âme, en le voyant, croirait revoir Enéc,
Et douterait encor qu'il m'eût abandonnée !

GASTON.

Encor si quelqu'enfant, doux fruit de notre amour,
Charmait l'affreux désert où tu laisses ma cour,
Je ne me croirais pas entièrement trahie,
Et ton image au moins consolerait ma vie !

DELILLE.

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