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Quelle est la nation qui n'a point essayé de traduire en vers les Géorgiques? Dryden, comme Delille, l'entreprit et obtint en Angleterre le même succès que Delille a eu depuis parmi nous; comme lui, aussi, il trouva un Clément dans un Milbourne qui fit paraître une critique, dans laquelle il épluche et blâme tous les vers de Dryden, et leur en substitue d'autres.

Je ne puis me refuser de rapporter ici un passage de Johnson, qui s'applique également bien à Milbourne et à Clé ment, au Virgile français et au Virgile anglais.

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« Ce n'est pas, dit-il, en comparant

ligne à ligne que l'on peut apprécier » le mérite des grands ouvrages, mais » par leurs effets généraux et leur ré>>sultat définitif: il est aisé de remar» quer une ligne faible et d'en mettre une autre plus vigoureuse à la place; » de trouver un bonheur d'expressions » dans l'original, et de le transplanter

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» de force dans la version; mais ce que » les détails présentent, peut manquer » à l'ensemble; ce que le critique >> louera, ennuiera peut-être le lecteur. » Il faut, aux ouvrages d'imagination, » des amorces toujours nouvelles, un » délice toujours soutenu. En vain le livre est bon, si le lecteur le laisse » là, Celui-là seul est maître, qui retient l'esprit dans une agréable captivité; » dont les pages, lues avec empresse» ment, sont relues encore par l'espoir » d'un nouveau plaisir, et dont on ne >> voit la conclusion qu'avec ce regard >> triste que le voyageur jette sur le >> jour qui expire.

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Pope regardait la traduction de Dryden comme la plus noble et la plus spirituelle qu'il connût dans aucune langue; il n'appartenait qu'à lui de faire mieux encore dans sa traduction d'Homère.

Comparons un passage de Dryden avec le même passage de Delille.

Then, after length of time, the labouring swains
Who turn the turfs of those unhappy plains,
Shall rusty piles from the plough'd furrows take
And over empty helmets pass the rake;
Amaz'd at antique titles on the stones,
And mighty relics of gigantic bones. *

DRYDEN, Georgics, book 1.

Un jour le laboureur, dans ces mêmes sillons
Où dorment les débris de tant de bataillons,
Heurtant, avec le soc, leur antique dépouille,
Trouvera, plein d'effroi, des dards rongés de rouille;
Entendra retentir les casques des héros,
Et d'un ail effrayé contemplera leurs os (1).

DELILLE, Géorgiques, livre 1.

*Alors, après un long laps de tems, les laboureurs, en retournant la glèbe de ces plaines malheureuses, retireront du sillon des amas d'armes rouillées;

sur des casques vides feront passer la herse: effrayés de voir sur les pierres ces titres antiques, et ces restes imposans des gigantesques os.

(1) Je citais ces vers de mémoire, quand, ouvrant les Géorgiques, au lieu des deux derniers, je trouve ceux-ci:

Verra de vieux tombeaux sous ses pas

s'écrouler,

Et des soldats romains les ossemens rouler.

Je ne comprends pas comment l'auteur, si c'est lui, a pu substituer ces

L'ART POÉTIQUE d'Horace a donné naissance à quatre poëmes anglais : l'Art poétique de Roscommon; celui de Francis; l'Art de la politique de Bramston; et l'Art de la cuisine de King. On aimera peut être à voir comment chacun des quatre auteurs a traduit différemment les vers par lesquels le poëte latin débute. Je citerai d'abord la traduction française de M. Daru:

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Si d'un pinceau bizarre un peintre ose allier
Et la tête d'un homme et les crins d'un coursier;

Que, des oiseaux divers empruntant la parure,
Il en compose un tout qui blesse la nature';
Et d'un monstre des mers si le corps tortueux
Termine, sous sa main, un portrait gracieux;
Sans doute vous rirez de ce fol assemblage.
Croyez-moi, cher Pison, tel serait un ouvrage

deux vers froids, à peine français et qui traduisent très-infidèlement le latin où je vois des sépulcres enfouis, et non des tombeaux élevés sur la terre, aux deux anciens vers si beaux, si pittoresques, si énergiques, dont j'admirais le rythme imitatif et la teinte solennelle, et qui rendent d'ailleurs si bien les deux vers de Virgile:

Aut gravibus rastris galeas pulsabit inanes,
Grandia que effossis mirabitur ossa sepulcris.

Où mille traits confus n'offriraient à l'esprit
Qu'un rêve monstrueux que la raison proscrit;
Où le debut, la fin, les diverses parties,
Peu faites pour s'unir, seraient mal assorties.
Le peintre et le poëte ont droit de tout oser;
Je le sais, et comme eux je prétends en user;
Mais nous ne devons pas marier les contraires,
Le tigre avec l'agneau, la colombe aux vipères.

ART OF POETRY.

If in a picture, Piso, you

should see

A handsome woman with a fish's tail,

Or a man's head upon a horse's neck,

Or limbs of beasts of the most different kinds,
Cover'd with feathers of all sorts of birds;

Would you not laugh and think the painter mad?
Trust me, that book is a ridiculous

Whose incoherent style, like sick men's dreams,

* Si dans un tableau, Pison, vous voyiez
une belle femme avec une queue de poisson,
ou la tête d'un homme sur le cou d'un cheval,
ou des membres d'animaux de différentes espèces,
couverts de plumes de toutes sortes d'oiseaux;

ne ririez-vous pas, ne croiriez-vous pas le peintre fou? Croyez-moi, un livre est aussi ridicule

quand son style, incohérent comme les rêves d'un malade,

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