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mais, en anglais, c'est une autre manière
de peindre et d'exprimer qu'en latin,
en italien, et sur-tout en français; c'est
une autre manière d'avoir de l'esprit ;
l'idiôme, les lois, les mœurs des français
et des anglais different moins que leur
poésie. Elle est, en France, plus sage,
plus douce, plus correcte; en Angle-
terre, plus hardie, plus fière, plus libre.

Vain are our neighbours hopes, and vain their cares,
The fault is more their language's than theirs:
'Tis courtly, florid, and abounds in words,
Of softer sound thand ours perhaps affords;
But who did ever in french authors see
The comprehensive english energy!
The weighty bullion of one sterling line,

Drawn to french wire, would thro'whole pages shine.*

ROSCOMON, on translated verse.

* Vain est l'espoir de nos voisins, vains sont leurs efforts;
la faute en est plus à leur langage qu'à eux :
il est galant, fleuri, abonde en expressions,
jouit peut-être d'un son plus doux que le nôtre;
mais qui trouva jamais dans les auteurs français
l'énergie anglaise qui dit tant en si peu de mots :
le pesant lingot d'une ligne sterling,

allongé en métal français, brillerait dans des pages.

Le vers français est soumis à des lois sur la mesure, la césure, l'élision, l'hiatus, la rime, l'alternat des rimes masculines et féminines; le vers anglais ne semble conserver les deux lois de la rime et de la mesure que pour les violer à chaque instant.

The rules a nation, born to serve, obeys;
And Boileau still in right of Horace sways.
But we, brave Britons, foreign laws despis'd,
And kept unconquer'd and unciviliz'd.
Fierce for the liberties of wit, and bold
We still defy'd the Romans, as of old. *

POPE, essay on criticism.

Je suis loin de convenir de tout ce la vanité nationale fait dire à ces que deux auteurs; mais, à l'exagération près,

*Une nation, née pour servir, obéit aux règles, et Boileau encore exerce les droits d'Horace; mais nous, braves Bretons, dédaignons les lois étrangères ;

nous restons inconquis et incivilisés,

farouches dans nos libertés d'esprit, et, hardis,

nous défions encore les Romains, comme autrefois.

les poésies des deux peuples sont assez bien caractérisées par ces vers.

Sans doute il est possible de faire d'un beau poëme anglais un beau poëme français. Delille et Colardeau l'ont prouvé : mais ils ont leur manière, et non celle de leurs originaux ; et c'est par cela même qu'ils ont réussi. A des grâces, ils ont substitué d'autres grâces: les lire est une jouissance, mais une jouissance toute différente. C'est Colardeau, c'est Delille que vous lisez ; vous ne lisez point Pope et Milton.

Essayons de chercher ce qui constitue cette différence, ce contraste des deux poésies. Essayons, pour ainsi dire, de faire entendre l'anglais aux personnes mêmes qui ne connaissent point cette langue. Habituée aux conquêtes, la France aimera à conquérir aussi la poésie anglaise.

Presque tous les mots anglais sont des monosyllabes. Sur mille vers français on en trouve à peine un de ceux

que l'on nomme monosyllabiques, tels

que :

O roi de tous les rois, le plus grand, le plus sage. Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur.

RACINE, Phèdre.

Du siècle au fond d'un cloître et du cloître à la cour.

VOLTAIRE, Henriade.

Qui plait est roi, qui ne plaît plus n'est rien.

MONCRIF.

En anglais on rencontre au moins trois ou quatre vers monosyllabiques sur cent (1).

Rien n'est plus ordinaire, en anglais, qu'un vers qui contient à la fois dix syllabes et dix mots; et Pope, par un vers monosyllabique très-heureux, critique ainsi ceux qui en font de mauvais :

(1) J'ouvre l'épître d'Héloïse à Abeilard, les vers 28, 41, 45, 48, 68, 74, 84, sont composés de monosyllabes; de même les vers 36, 142, 285, du poëme des saisons, et les vers 28, 37, 60, 95, 106, du paradis perdu.

And ten low words oft creep in one dull line. *

POPE, on criticism.

On sent aisément qu'avec des mots aussi courts il est facile de renfermer beaucoup de pensées dans peu de lignes; aussi le vers anglais, le plus ordinaire, a dix syllabes, tandis que le nôtre en a douze; encore est-il très-difficile de traduire un vers anglais par un vers français, même avec deux syllabes de plus.

Comment rendre la vivacité de ces quatre vers, dont trois sont monosyllabiques, et qui, sur quarante syllabes, contiennent trente-huit mots :

No, fly me, fly me far as pole from pole! **

* Et dix mots bas souvent rampent dans une plate ligne. Ou pour imiter le vers monosyllabique :

Et dix mots plats font par

fois un plat vers.

**Mais non, fuis-moi, fuis-moi, loin comme d'un pôle à l'autre !

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