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POËMES MORAUX.

The proper study of mankind is man.

POPE, essay on man.

LA sévérité de la morale ne semble guères faite pour s'allier au délire de la poésie aussi le poëme moral perd ce feu, cet enthousiasme, cette espèce de fièvre qui transporte et égare le poëte dans l'épopée, et sur-tout dans l'ode. Il n'a plus même cette facilité, cet abandon du poëme descriptif : mais Pope, dans l'Essai sur l'homme, a su conserver toute la verve, la chaleur, la dignité d'une poésie noble et animée. Il n'est, je crois, dans aucune langue, des vers plus admirables pour la concision, l'énergie, les grâces majestueuses;

*L'étude propre au genre humain est l'homme.

pensées, expressions, tout est élégamment profond et sagement sublime.

Cependant cet essai, divisé en quatre épîtres, ne forme pas un ensemble digne des détails. Le plan et le but de l'ouvrage sont indéterminés. C'est un labyrinthe dont on a vainement cherché à donner le fil, mais où il est doux de s'égarer. C'est une suite de réflexions fines et justes, exprimées dans un style serré et brillant. Transporté de la beauté de chaque tirade, je voulais la rendre en vers français, mais l'ouvrage entier me décourageait; j'aurais voulu tout traduire, excepté le poëme.

Il en existe deux traductions en vers: celle de Duresnel, longue et insipide paraphrase, dans laquelle les treize cents vers anglais sont rendus par plus de deux mille vers français;

Et celle de M. de Fontanes, infiniment supérieure à la précédente. Il a lutté de précision et d'énergie avec

:

l'original; et l'indigent orgueil de notre langue l'a seul empêché de rendre toutes les pensées, toutes les expressions de Pope mais le style de sa traduction est pur, sage, noble ; il a du nombre et du mouvement; M. de Fontanes a su même imiter ces antithèses piquantes, ces rapprochemens inattendus qui distinguent le premier des poëtes anglais. J'ai cependant rencontré dans Pope de ces vers qui semblent, si j'ose ainsi m'exprimer, appeler le vers français. J'ai cédé à l'espèce de besoin d'angliser davantage quelques passages, et j'ai osé les traduire encore je ne prétends pas avoir mieux fait; mais j'ai cru être plus fidèle. Je répéterai d'ailleurs ce que j'ai dit en parlant des Géorgiques: il y a infiniment plus de mérite à faire une traduction entière, qui se lit avec un intérêt soutenu, qu'à traduire, même avec plus de succès, quelques morceaux détachés.

UN auteur allait donner à la poésie morale un caractère plus grand, plus auguste, plus solennel encore. Young, se frayant une route nouvelle, se créant un style, un rythme, une harmonie qui n'appartiennent qu'à lui, s'enferme dans les tombeaux, et là, seul avec l'Être suprême, il chante ses hymnes lugubres. Ses Nuits ou Complaintes sont en vers blancs. Cet ouvrage, dit Johnson, est du petit nombre de ceux dont les vers ne pourraient que perdre à être rimés.

Des neuf nuits, les trois premières sont les plus intéressantes; la troisième sur-tout, la mort de sa fille, offre un sujet infiniment plus touchant que les

autres.

Colardeau me semble avoir moins réussi dans la traduction de la première et d'une partie de la seconde nuit d'Young, que dans l'épître d'Héloïse à Abeilard. Il a fait ses vers, non sur l'anglais, mais sur la prose de Letourneur,

et cela a dû l'écarter encore de l'original. Il n'a rien de la touche sombre, sublime et terrible de l'auteur anglais.

Je préfère la prose bien plus poétique de Letourneur : il a dumoins trempé ses pinceaux dans les couleurs lugubres d'Young; et si l'on écrivait sa traduction en lignes mesurées, elle se rapprocherait du rythme des vers blancs; j'en citerai un exemple :

O lune, pális d'effroi, astres paisibles, fuyez, cachez-vous dans le voile de la nuit ; épargnez-vous l'horreur de m'entendre: l'homme est pour l'homme le fléau le plus cruel et le plus inévitable. Le grain noircit l'horizon et présage la tempête: avant de s'abîmer, les tours s'entr'ouvrent; un tonnerre souterrain annonce l'explosion enflammée des volcans; la terre tremblante avertit qu'elle va dévorer; la fumée ondoyante décèle l'incendie; mais la foudre qui part des mains de l'homme, ne brille, ne tonne qu'à l'instant où elle écrase. Il cache, etc.

En sauvant quelques syllabes muettes,

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