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La satire, en effet, dont l'objet est de peindre les mœurs et les caractères de la société, doit avoir un style plus familier et se rapprocher de l'aisance et de la liberté de la conversation. Un vol sublime, un rythme pompeux ne sont pas faits elle. Elle est sagement hardie, froidement malicieuse; c'est, dit le docteur Blair, Musa pedestris (la Muse pédestre), qui doit présider à sa composition.

pour

LE poëte Donne, un des pères de la poésie anglaise, est le premier qui se soit essayé dans la satire. Son style a vieilli, mais ses pensées avaient quelque mérite, puisque Pope n'a pas dédaigné de rajeunir son langage suranné.

DRYDEN prit un essor bien plus brillant. Il composa d'abord avec Buckingham un Essai sur la satire, qui est infiniment supérieur à l'Essai sur la poésie du dernier auteur. Les préceptes en sont justes et noblement exprimés, Chaque leçon est un exemple; chaque

tirade est à la fois didactique et satirique.

Un assez médiocre rimeur, nommé Shadwell, balança quelque tems la réputation de Dryden, comme Pradon celle de Racine. Dryden écrasa ce faible insecte par une satire, intitulée : Mac Flecknoe. Cette pièce est remarquable, dit Dodsley, par la sévérité de la critique et l'excellence de la versification. Newberry, dans son art poétique, la cite comme le chef d'oeuvre de ce genre.

Dryden suppose que Mac Flecknoe, qui tenait le sceptre de l'empire des mauvais auteurs, se voit près de la tombe, et cherche quelqu'un digne de lui succéder; enfin il s'écrie :

'Tis resolv'd; for nature pleads, that he Should only rule, who most resembles me.*

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Le parti est pris; la nature parle ; celui-là

doit seul régner, qui me ressemble le plus.

Shadwell, alone, my perfect image bears;
Mature in dullness from his tender years;
Shadwell, alone of all my sons, was he
Who stands confirm'd in full stupidity.
The rest to some faint meaning may pretence,
But Shadwell never deviates into sense;
Some beams of wit on other souls may fall,
Strike through, and make a lucid interval;
But Shadwell's genuine night admits no ray,
His rising fogs prevail upon the day.*

DRYDEN, Mac Flecknoe.

Le successeur désigné monte sur le

*Shadwell, seul, est ma parfaite image;

mûr en sottise dès ses tendres années. Shadwell, seul de tous mes enfans, est celui qui reste confirmé en pleine stupidité.

Le reste peut prétendre à quelque faible pensée ; mais Shadwell jamais ne déroge jusqu'au bon sens. Quelques rayons d'esprit peuvent tomber dans l'âme des

autres

percer et produire des intervalles lucides;

mais la nuit naturelle de Shadwell n'admet point de

rayon,

et ses brouillards épais l'emportent sur le jour.

trône de la bêtise, et prononce son

serment:

So Shadwell swore, nor should his vow be vain That he, till death, true dullness would maintain; And, in his father's right, and realm's defence, Ne'er to have peace with wit, nor truce with sense."

DRYDEN, Mac Flecknoe.

BUTLER a composé neuf satires bien moins connues que son Hudibras, et qui méritaient de l'être davantage. L'une d'elles est la traduction littérale de la satire de Boileau à Molière, sur la rime: Butler paraît l'avoir donnée comme originale. Nos voisins nous ont fait, dans ce genre, plus d'un vol littéraire ; mais nous le leur avons bien rendu.

* Ainsi Shadwell jura, et son serment ne sera pas vain, que, jusqu'à la mort, il maintiendrait la franche sottise; et que, pour les droits de son père et la défense de son empire,

il n'aurait jamais ni paix avec l'esprit, ni trève avec le

bon sens.

UN jeune seigneur anglais mort à trente-trois ans, qui serait, peut-être, devenu un des plus grands poëtes, lorsque l'âge aurait amorti ses passions, mais qui, malheureusement, perdit sa jeunesse dans l'immoralité, la débauche et l'irreligion, le comte de Rochester, a composé deux satires; l'une sur l'Homme, imitée de celle de Boileau, l'autre contre le Mariage. On y trouvera une profondeur de pensée, une force d'expression, une chaleur de verve qui m'ont engagé à traduire ces deux pièces. Je demande grâce pour l'immoralité de la seconde, en faveur de son originalité.

Ces trois poëtes satiriques, Dryden, Butler et Rochester, avaient plutôt imité la sévérité de Juvénal et l'énergie de Perse; il était réservé à Pope d'introduire, dans la satire anglaise l'aimable familiarité, la gaieté spirituelle, la malignité badine qui caractérisent Horace.

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