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Même d'après les traductions, il est aisé de voir combien Pope est supérieur à ses deux concurrens.

Dryden est froid, lent, prosaïque. Il parle de chevaliers inconnus à l'antiquité. Il les envoie simplement aux ombres de la nuit; leurs corps sont faits la proie des chiens; le décret de Jupiter est obéi. Comme ces deux participes tombent mal à la fin du vers!

Je préfererais Tickell. Cependant sa colère qui produit une discorde, laquelle amène des maux, forme une phrase bien grammaticale. Je n'aime pas la côte infernale et tous les oiseaux de proie: il emploie d'ailleurs dix vers au lieu de huit.

Mais, pour qui sait un peu d'anglais, combien les vers de Pope sont plus corrects, plus harmonieux, plus poétiques! Quelle touche vigoureuse et brillante ! quel rythme mélodieusement cadencé ! Pas un mot faible ou inélégant; excepté, peut-être, si pourtant

un français peut critiquer Pope, excepté céleste déesse, qui me paraît un pléo

nasme.

Ces remarques m'ont éloigné du vers alexandrin; je me hâte d'y revenir.

1

The ling'ring soul th'unwelcome doom receives, And murm'ring with disdain, the beauteous body leaves.*

DRYDEN, Æneid.

Not so when swift Camilla scours the plain, Flies o'er th'unbending corn and skims along the main.**

POPE, on criticism.

Dryden renchérit encore sur le vers alexandrin. Dans un triplet, on nomme ainsi trois vers qui riment ensemble et auxquels on met ordinairement une accolade, il fait le premier vers de dix

* L'âme languissante reçoit le fatal arrêt, ́et, murmurant d'indignation, abandonne son beau corps.

** Il n'en est pas ainsi quand la prompte Camille rase
la plaine,

vole sur les épis sans les courber, et effleure la surface
des eaux.

syllabes, le second de douze, et le dernier de quatorze :

For thee the land in fragrant flow'rs is drest, For thee the ocean smiles and smooths his

wavy breast And heav'n itself with more serene and purer light is blest.*

DRYDEN.

Les bons poëtes anglais ne font que rarement usage du vers alexandrin. Il veut être placé à propos et avec beaucoup d'art. Pope a donné à la fois la définition, l'exemple de ce vers, la critique de ceux qui en abusent, et la preuve de l'effet admirable qu'il produit sous une main habile:

Then at the last and only couplet fraught
With some unmeaning thing they call a thought,**

* Pour toi la terre se pare de fleurs odorantes, pour toi l'océan sourit et applanit ses vagues, et le ciel lui-même s'embellit d'une lumière plus sereine et plus pure.

**Puis à la dernière et la seule tirade qui soit fabriquée avec quelque insignifiante chose qu'ils nomment que

pensée ;

A needless alexandrine ends the song

That, like a wounded snake, drags its slow length along.*.

POPE, on criticism.

Swift, dans ses facéties poétiques, s'est amusé à faire des vers de vingt, trente et jusqu'à soixante syllabes.

Les anglais ont, comme nous, des vers de huit, sept, six, cinq, quatre et trois syllabes:"

J'ai dit que le vers décasyllabique anglais était plus court que notre vers de douze syllabes; mais cela n'est vrai que quant au nombre des pieds, et encore par la manière dont ils comptent ces pieds.

En effet, le vers anglais est plus long; d'abord par le nombre de mots, ensuite par le nombre de lettres, l'anglais ayant beaucoup de diphtongues, et souvent quatre consonnes de suite dans un mot. Mais, ce qui étonnera

*le chant finit par un inutile alexandrin

qui, semblable à un serpent blessé, traîne sa lente lon-`

gueur au loin.

c'est que les vers anglais sont presque toujours aussi longs que les nôtres, même par le nombre des syllabes, et que paraissant en avoir dix, ils en ont douze, si l'on veut, comme chez nous, compter les syllabes muettes :

In these deep | soli | tudes | and aw | ful cells Where heavenly|pensive contemplation dwells.

POPE, Eloisa's letter.

J'AI cru devoir entrer dans tous ces détails pour faire connaître tout le mécanisme de la versification anglaise. Instruit des procédés qu'ont employés les écrivains, le lecteur jouira mieux des beautés qui naissent de ces procédés mêmes initié dans les ressorts secrets de la mécanique, il en verra le jeu avec plus de plaisir. Il saura, sur-tout, saisir, jusques dans leurs moindres nuances, les caractères distinctifs des deux poésies française et anglaise. Achevonsen le parallèle par quelques traits plus généraux.

COMPOSÉ de mots plus longs et de

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