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POËME ÉPIQUE.

Heroic poems have a just pretence

To be the utmost stretch of human sense.

BUCKINGHAM, essay on poetry.

Le poëme épique est le plus beau et le plus difficile des ouvrages de poésie. Il semble avoir quelque chose de surnaturel comme les moyens qu'il emploie, et tenir de la divinité qui y joue toujours un si grand rôle. Ce chef-d'œuvre de l'esprit humain ne brille qu'une fois en deux ou trois siècles, et n'appartient qu'au

'aux seules nations qui ont prédominé dans le monde littéraire. Il est assez généralement convenu aujourd'hui de ne compter que sept poëmes épiques

Les poëmes héroïques ont une juste prétention à être le dernier effort de l'esprit humain.

en

véritablement dignes de ce nom : en grec, l'Iliade; en latin, l'Énéide; portugais, la Lusiade du Camoens; en italien, la Jérusalem délivrée du Tasse; en espagnol, l'Araucana d'Alonzo d'Ercilla; en anglais, le Paradis perdu; et en français, la Henriade,

Ce sont de très beaux poëmes, en effet, que l'Odyssée d'Homère, la Pharsale de Lucain, l'Italie délivrée du Trissin, la mort d'Abel de Gessner; mais ils ne remplissent pas toutes les conditions de l'épopée. J'ignore quel rang on assignera, un jour, à la Pétréide de Thomas, et au Messie de Klopstock.

Il n'entre point dans mon plan de donner les règles générales de l'épopée; une dissertation sur le Paradis perdu y serait mieux adaptée; mais le sujet est épuisé (1).

Si j'avais à classer entre eux les poëtes

(1) Voltaire, Essai sur la poésie épique; Marmontel, Élémens de littérature Blair, Lectures on belles lettres; Addison, Remarks on Paradise

lost,

épiques, je mettrais Milton au troisième rang, après Homère et Virgile; mais je le placerais au dernier pour la sagesse du plan, et au premier pour le sublime de la pensée et de l'expression.

Dryden me paraît avoir écouté l'orgueil national plus que la justice, quand il a dit :

Three poets, in three distant ages born,
Greece, Italy and England did adorn :
The first in loftiness of thought surpass'd,
The next in majesty, in both the last.
The force of nature could no further go:
To make a third, she join'd the other two.*

DRYDEN, Miscellanies.

Si une nation pouvait se vanter d'avoir

Trois poëtes, nés dans trois différens âges ont honoré la Grèce, l'Italie et l'Angleterre. Le premier excelle dans la pompe des pensées, le second dans la majesté, le dernier dans les deux. La force de la nature ne pouvait aller plus loin: pour faire un troisième, elle a réuni les deux autres.

deux poëmes épiques, ce serait l'Angleterre. Pope a, pour ainsi dire, naturalisé l'Illiade. Les anglais le mettent au-dessus d'Homère; puisque le plan, la conduite, les caractères, les pensées ne lui appartiennent point, ce ne peut être que pour la beauté du style. J'ai une trop faible teinture du grec pour pouvoir comparer l'original et la traduction; je puis du moins citer un passage de Pope, et comparer la traduction française des vers anglais avec la traduction française des vers grecs, comparaison bien imparfaite, sans doute, mais dans laquelle, le charme de la versification disparaissant de part et d'autre, les deux rivaux combattent du moins à armes égales. Je prends un passage des adieux d'Hector et d'Andromaque :

Thus having spoke, th'illustrious chief of Troy Stretch'd his fond arms to clasp the lov❜ly boy. The babe clung crying to his nurse's breast, Scar'd at the dazzling helm, and nodding crest; With secret pleasure each fond parent smild,

And Hector hasted to relieve his child,
The glittering terrors from his brows unbound,
And plac'd the beaming helmet on the ground;
Then kiss'd the child, and, lifting high in air,
Thus to the gods preferr'd a father's pray'r.

TRADUCTION DE L'ANGLAIS.

En parlant ainsi, l'illustre chef de Troyes étend ses bras caressans pour saisir l'aimable enfant. L'enfant se rejette en pleurant sur le sein de sa nourrice: le casque éblouissant, le panache flottant l'effrayent. Le père et la mère sourient avec un secret plaisir. Hector se hâte de rassurer son fils; détache de son front les brillantes terreurs, et pose à terre l'armure étincelante; puis il baise l'enfant, l'élève dans les airs, et adresse aux dieux la prière d'un père.

TRADUCTION DU GREC,

PAR BITA U BÉ.

Après avoir ainsi parlé, il approche de son fils et lui tend les bras. L'enfant, à l'aspect d'un père qu'il aime, épouvanté par l'éclat des armes et du panache menaçant et terrible qu'il voit flotter au sommet du casque, se rejette en arrière, se cache

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