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LETTRE LXIX.

D'un monsieur qui est allé faire un tour à Londres, à son

ami à Paris.

Londres, 11 janvier 1842.

Mon cher ami,

Je vous ai promis, dans ma dernière lettre, de vous donner encore quelques détails sur cette moderne Babel, et maintenant je remplis ma promesse.

Depuis que je vous ai écrit (1), j'ai visité les théâtres, et j'ai été enchanté de l'éclat de leur intérieur; j'ai remarqué entre autres la salle de l'Opéra Italien. Les Anglais font beaucoup de cas des décorations, qu'ils appellent scènes, et par lesquelles ils tâchent de rendre l'illusion aussi complète qu'il se peut. Il y a cependant sur la scène anglaise plusieurs choses qui répugneraient à des auditeurs français. On voit, par exemple, dans quelques-unes de leurs tragédies, deux ou trois assassinats, et les morts restent pendant quelque temps sur la scène. Au total, je fus néanmoins très-content.

Les cafés ici sont arrangés d'une manière très-singulière ils sont divisés en plusieurs loges ou compartiments, qu'on appelle boxes; séparées l'une de l'autre par d'assez hautes cloisons pour empêcher que ceux qui se

(1) Depuis que je vous ai écrit. Dans la première édition il y avait : depuis que je vous écrivis, la note suivante et la correction y étant omises par erreur. Dans le style familier, le prétérit défini est rarement employé; on dit plutôt : Depuis que je vous ai écrit, qu'on ne dit : Depuis que je vous écrivis. Ce temps s'appelle aussi le passé historique, ou le parfait défini, et ne convient guère que dans les narrations; ailleurs il donne au style un air guindé, roide et prétentieux.

being observed by those who occupy the next; and so very reserved are the English in general, that one may frequently see a gentleman enter a coffee-house, and seek round the whole room for a box that is unoccupied, where he isolates himself from every body, and will sit with his pint of wine and newspaper for an hour or two.

I went last week, out of (1) curiosity, to see one of those disgraceful exhibitions called prize-fights (2). I had been told that they were numerously attended; but nothing could equal my surprise, on my arrival, at beholding a concourse of more than fifteen thousand people. Carriages of every description, from the dung cart to the dashing four in hand (3) of my lord, were drawn up as near the ring (4) as possible, and the arrival of the combatants appeared to excite as much interest as though the fate of the nation depended on the issue of the combat. I saw the set to (5), and two or three rounds (6), which were quite sufficient to disgust me with the exhibition. I then left the ground, wondering that any rational beings, and more. especially that Englishmen, who imagine themselves the most refined people in the world, could tolerate such brutal sports.

After forcing my way, with no little difficulty, through the crowd, I felt (7) for my watch to see the hour; but, oh! mortifying discovery! it was gone. Thus you see, I have paid pretty dearly for my curiosity: it will be a useful lesson, but I find it rather too dear.

I have just read in the newspapers that one of the combatants is dead, and yet, would you believe it? another

(1) Out of, par. Ex. I did it out of pure kindness, je le fis par pure amitié. (2) Prize-fights, sorte de combats à coups de poing, dont le prix varie depuis vingt jusqu'à deux cents livres sterling, suivant l'intérêt qu'y prennent les ama

tears.

(3) Four in hand (mot à mot, quatre en main) signifie une voiture à quatre chevaux, à grandes guides, sans postillon, que conduit le cocher, ou même très-souvent le milord lui-même.

(4) Ring, s., anneau; il signifie également arène, dont la forme est celle d'un

anneau.

(5) Set to, commencement; synonyme, onset.

(6) Rounds, s., tours, luttes.

(7) To feel, v. a., toucher, sentir, tåter; to feel for, chercher avec la main; to smell, v. a., sentir, fairer,

trouvent dans une loge ne soient vus par ceux d'une autre. Les Anglais sont en général si réservés, qu'on voit souvent un monsieur entrer dans un café, et, avant de s'asseoir, chercher partout une loge où il n'y ait personne, afin de mieux s'isoler, et y rester pendant une heure et quelquefois deux, avec sa demi-bouteille de vin et le journal.

J'allai la semaine passée voir un de ces spectacles dégoûtants dits prize-fights (1). On m'avait déjà dit que j'y verrais beaucoup de monde; mais rien ne put égaler ma surprise, lorsqu'en arrivant j'y vis plus de quinze mille personnes. Des voitures de toute espèce, depuis la charrette à fumier jusqu'au brillant équipage du milord, étaient rangées le plus près possible de l'arène (2), et l'arrivée des combattants paraissait exciter autant d'intérêt que si le sort de la nation eût dépendu de l'issue du combat. Je ne regardai que les deux ou trois premiers tours (rounds); ce fut bien assez pour m'en dégoûter, et je quittai le champ de bataille, étonné que des êtres raisonnables, et surtout des Anglais, qui se vantent d'être le peuple le plus civilisé du monde, puissent tolérer des amusements aussi inhumains.

Après avoir percé la foule, et comme je cherchais ma montre pour savoir l'heure... oh! découverte mortifiante! elle était partie. J'ai payé chèrement ma curiosité; ce sera une leçon utile, mais je la trouve un peu trop chère (3).

Je viens de lire dans les journaux qu'un des combattants est mort, et pourtant, le croiriez-vous? un autre combat

(1) Prize-fights. Ce mot composé signifie proprement combats à primes, à récompenses (de prize, prix ou prime, et de fight, combat), parce que le but du combat est effectivement de récompenser celui des deux combattants qui a vaincu l'autre. Il s'y fait des paris considérables. C'est à coups de poing que se font ces combats.

N. B. Heureusement ces combats commencent à tomber en défaveur.

(2) Arène, amphithéâtre; ce mot lui-même veut dire : lieu d'où l'on peut voir tout ce qui se passe, comme l'indique sa formation prise du grec: (amphi) autour, et (théatron) théâtre, dérivé de (théaomai) voir, considérer, où se battaient les gladiateurs romains, et quelquefois des bêtes féroces. Ce mot (arène) vient du latin arena, qui signifie sable, et par extension l'emplacement lui-même, parce que le sol en était sablé (couvert d'arène).

(3) Chère est ici adjectif, leçon est le substantif qu'il qualifie; mais s'il était précédé d'un verbe neutre il serait adverbe. Ex. Cette maison coûte cher; celte voiture est chère. Dans le second exemple il est adjectif, parce qu'il est accompagné du verbe être qui marque l'état.

battle is announced in the same paper. What do you think of this people?

I ought however, in justice, to tell you that the magistrates in general endeavour to prevent those fights taking place in their districts, and it frequently happens that the combatants and their followers are driven from one county (1) to another, before they can terminate the affair, and for that reason the name of the place is kept secret, so that the battle is sometimes over (2) before the magistrates arrive. If any thing cure me of anglomania, it will be this vile custom being tolerated by men of fortune. However upon the whole I am more pleased than displeased with England, and I shall probably remain some time longer.

Adieu.

Believe me, etc.

LETTERS OF INVITATION, CONGRATULATION,
CARDS, NOTES, ETC.

Dear Sir,

On Tuesday we have a select (5) musical party. We shall feel extremely flattered if you will favour us with the powerful assistance of your brilliant talents. Do not disappoint us.

Friday evening.

Yours, etc.

(1) County, comté, département; il ne faut pas confondre ce mot avec country, qui signifie pays et campagne.

(2) Over, précédé du verbe être, signifie fini, terminé, achevé. Ex. The war is over, la guerre est finie; the rain is over, la pluie a cessé.

(3) Select, adj., choisi; du verbe to select, choisir.

est annoncé dans ces mêmes papiers. Que pensez-vous de ce peuple?

Je dois, en toute justice, vous dire que les magistrats, en général, tâchent d'empêcher que ces combats n'aient lieu dans leurs districts respectifs, et il arrive souvent que les combattants et leurs partisans sont renvoyés de comtés en comtés avant de pouvoir terminer leur affaire. Pour cette raison, l'on fait souvent aux autorités un secret du lieu où doivent se rendre les combattants, si bien que lorsqu'elles arrivent pour les chasser de leur territoire la bataille est déjà livrée (1). Si quelque chose me guérit enfin de mon anglomanie, ce sera la tolérance que des gens bien nés accordent à un usage si barbare. Cependant je trouve plus d'agréments que de désagréments en Angleterre, il est très-probable que j'y prolongerai mon séjour.

Adieu.

Croyez-moi, etc.

LETTRES D'INVITATION, DE FÉLICITATION,

BILLETS, ETC.

Cher monsieur,

Nous aurons mardi prochain une soirée musicale; nous serons très-flattés de yous posséder et d'y mettre vos talents à contribution. Ne trompez pas notre espoir.

Vendredi soir.

Votre, etc.

(1) En anglais livrer bataille se dit to give battle; on ne s'en sert guère qu'en parlant des guerres.

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