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LETTRE XVIII.

Milady Catesby à milady Campley.

Je m'ennuie (1) ici à mourir, ma chère. Que j'ai déjà regretté votre cabinet, le mien plutôt ! la douceur de ces entretiens que la confiance rendait si vifs, ces amusements simples, ces heures que nous avons passées si utilement à lire! Si le chagrin est quelquefois venu troubler notre tranquillité, la froideur au moins n'a jamais trouvé place dans

notre cœur.

Il semble que l'on soit libre ici, et la contrainte est cachée sous cette liberté apparente. On y fait ce que l'on veut, mais on n'y dit point ce que l'on pense. Que le grand monde, cette société brillante appelée la bonne compagnie, donne peu de satisfaction à ceux qui l'examinent! Ce n'est ni le cœur, ni le goût (2), ni même l'espérance (3) du plaisir qui rassemble ces êtres bizarres, nés pour posséder beaucoup, désirer davantage, et ne jouir de rien. Ils se cherchent sans s'aimer, se voient sans se plaire, et se perdent dans la foule sans se regretter. Qu'est-ce donc qui les unit? L'égalité du rang, de la fortune, l'usage, l'ennui d'eux-mêmes, ce besoin de dissipation, de distraction, qu'ils éprouvent continuellement, et qui semble attaché à la grandeur, aux richesses, à l'éclat, enfin à tous ces biens (4) qué le ciel n'a pas également distribués à tout le monde.

(1) S'ennuyer, v. a. pron. de la première conj. Tous les verbes de la première conjugaison ont l'infinitif en er, et forment leurs première et troisième personnes de l'indicatif en supprimant r. Ex. Parler, je parle, il parle.

(2) Ni le goût, NI... Dans ces sortes de phrases, on emploie en anglais neither pour le premier, et nor pour le second.

(3) Ni même l'espérance... Ce troisième ni se rend encore par nor; mais il est bien, pour détruire la monotonie des deux nor en anglais, et des trois ni en français, d'ajouter même en français, et even en anglais.

(4) Le substantif biens peut se rendre en anglais par l'un des mots good-things, wealth, riches, goods et property. Le mot goods est très-usité dans le sens de marchandises et de meubles.

What bonds (1), my dear, and what friends, for a heart like mine! Little accustomed to disguise my sentiments, what pleasure can I find amongst those to whom I cannot avow them without reserve? One must be in a very happy situation to amuse one's self with those for whom one has no tenderness; but I am to full of reflexion: I weary you perhaps. Adieu! in whatever humour I am, I love you always; yes, with all my heart.

LETTER XIX.

Madame de Sévigné to Mr. de Pompone.

I have a pretty little story to tell (2). It is very true and will amuse you. The king has lately become quite a poet, and frequently makes verses; he has even taken instructions on the subject from MM. de Saint-Aignan et Dangeau.

The other day he composed a little madrigal, with which, however, he was not very well satisfied. The next time he saw the marshal de Grammont, he said (3) to him: "Marshal (4), read this madrigal, and tell me if you ever saw any thing so stupid; since it is known that I am an amateur of poetry, I am continually annoyed by such productions. The marshal, after having read (5) it, said to the king: "Your Majesty judges correctly of every thing; it is indeed the most stupid, the most ridiculous madrigal

(1) Bonds, s., liaisons, liens, de to bind, v. a., lier.

(2) To tell, v. a., conter, die, commander. Ex. Tell him to come here, dites-lui

de venir ici.

(3) To say, v. a., die. Remarquez la différence entre say et tell; le premier régit ordinairement le datif, et le second l'accusatif. Ex. What did he say to you? what did he tell you?

(4) Remarquez bien que devant les titres on n'emploie pas Monsieur ni Madame.

pro

(5) Read, lu: to read, lire les passés s'écrivent comme l'infinitif, mais la : nonciation est différente: l'infinitif se prononce ride, le participe passé et le prétérit se disent redde.

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Quels liens, ma chère, et quels amis pour un cœur comme le mien! Peu accoutumée à déguiser męs sentiments, puis-je me plaire avec ceux auxquels je ne saurais les montrer sans réserve? Il faut être dans une situation fort heureuse pour s'amuser avec des gens qu'on aime peu ou qu'on n'aime point du tout; mais je réfléchis beaucoup, et je vous lasse peut-être. Adieu, de quelque humeur que je sois, je vous aime toujours; oui, et de tout mon cœur.

LETTRE XIX.

Madame de Sévigné à M. de Pompone.

Il faut (1) que je vous conte une petite historiette qui est très-vraie, et qui vous divertira. Le roi se mêle depuis peu de faire des vers; MM. de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comment il faut s'y prendre.

Il fit l'autre jour un petit madrigal que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin il dit au maréchal de Grammont: « M. le maréchal, lisez, je vous prie, ce petit ma<< drigal, et voyez si vous en avez vu un aussi impertinent : << parce qu'on sait que depuis peu j'aime les vers, on m'en << apporte de toutes les façons. » Le maréchal, après avoir lu, dit au roi : « Sire, Votre Majesté juge divinement bien « de toutes les choses; il est vrai que voilà le plus sot et le < plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu. » Le roi se mit

(1) Ce verbe unipersonnel, défectif et irrégulier, se rend généralement en anglais par le verbe défectif must, qui se conjugue à toutes les personnes on ne s'en sert qu'au présent et au futur, et sa forme ne change pas. Lorsqu'il précède le subjonctif en français, il faut prendre pour sujet de must en anglais le pronom qui suit la conjonction que. S'il précède un infinitif, on peut trouver le sujet en tournant par le subjonctif. Ex. Il faut aimer ses parents, tournez par. Il faut que nous aimions nos parents, we must love our parents.

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that I ever read." The king laughed (1) heartily, and said: "Is not the composer a great ass? -"Sire," replied the marshal," it is impossible to call him any thing else (2)." -"Well," said the king, "I am delighted to hear you speak so frankly; I am the composer." "Good God, sire! permit me to read it again, I perused (3) it hastily."-" No, no, Mr. marshal, first impressions are always the most natural."

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The king enjoyed the joke, and every body pitied the poor old courtier. For my part I am apt (4) to reflect upon things, and I wish the king would do the same; he might (5) judge from that incident, how seldom he hears the truth.

LETTER XX. ·

Mr. Sterne to Mr. Foley, at Paris.

My dear Sir,

York, July 13th, 1765.

I wrote some time in the spring, to beg (6) you would favour me with my account. I believe you had set out from Paris, and that Mr. Garrick brought the letter with him, which possibly he gave you. In the hurry of your business you might forget the contents of it; and in the hurry of mine in town (though I called once) I could not get to see you. I decamp for Italy in September, and (7)

(1) Laughed, prét. de to laugh, v. n. (dont la prononciation est tou laff, prétérit laffte).

(2) Else, autre, du latin alias. Ex. Any body else, quelque autre personne. (3) To peruse, lire, parcourir; de per et use.

(4) Apt, adonné, euclin, accoutumé; du latin aptus.

(5) Might, prétérit de may, être capable. Might est aussi substantif; il signifie force, pouvoir; on s'en sert aussi comme signe de l'imparfait du subjonctif. (6) That, sous-entendu.

(7) Pronom I sous-entendu.

à rire et lui dit : « N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est << bien fat? »> Sire, il n'y a pas moyen de lui donner « un autre nom. »-« Oh bien! dit le roi, je suis ravi que << vous en ayez parlé si bonnement; c'est moi qui l'ai fait. »

« Ah! sire, quelle trahison! que Votre Majesté me le « rende, je l'ai lu brusquement. » — « Non, M. le maréchal, << les premiers sentiments sont toujours les plus naturels. »

Le roi a fort ri (1) de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrais que le roi en fît là-dessus, et qu'il jugeât par là combien il est loin de connaître jamais la vérité (2).

LETTRE XX.

M. Sterne à M. Foley, à Paris.

Monsieur,

York, 13 juillet 1765.

Je vous écrivis au printemps pour que vous me fissiez le plaisir de me donner mon compte. Je crois que vous étiez parti de Paris, et probablement que M. Garrick, qui s'était chargé de la lettre, vous l'aura remise (3). Dans la presse de vos affaires, il est possible que vous en ayez oublié le contenu; et, dans la presse des miennes en ville (quoique j'aie passé une fois chez vous), je n'ai pas pu vous voir. Je

(1) La conjugaison du verbe rire est peu connue. Il y a plusieurs de ses temps qu'il faut n'employer que rarement, à cause de leur dureté à l'oreille. Ex. (à l'imparfait de l'indicatif) Nous RIIONS beaucoup, vous ne RIIEZ presque pas; (à l'imparfait du subjonctif) fallait-il que je RISSE quand j'étais affligé? Exprimez-vous autrement, et dites, par exemple : Nous avons bien ri, mais vous presque pas. Pouvais-je rire quand j'étais affligé?

(2) Il y a en anglais how seldom he hears the truth, combien rarement il entend la vérité. On aurait pu dire comme en français: how far he is from ever knowing the truth.

(3) Vous l'aura remise. On se sert du futur passé pour exprimer le sentiment du

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