Page images
PDF
EPUB

sterling; par le même courrier j'avais reçu de mon agent une lettre dans laquelle il me mande que l'argent serait, sous une quinzaine de jours, versé à la caisse de votre correspondant. J'ai été singulièrement contrarié de voir que vous n'avez pas répondu à ma lettre, et surtout après vous avoir dit que nous attendions l'argent avant de partir pour Bagnères. Comme je comptais si peu qu'une telle civilité me serait refusée, nous avons emballé tous nos effets il y a huit jours, espérant à chaque instant recevoir une lettre.

Mon bon ami attendait peut-être (1) la certitude que la somme avait été versée à Londres; mais vous pouviez vous en rapporter à mon honneur tout le numéraire de votre caisse, et même tout celui des caisses de tous les banquiers de l'Europe, ne pourrait me faire dire un mensonge. J'espère que maintenant vous aurez reçu l'avis que l'argent est payé à Londres. Mais je l'aurais pris en bonne part (2) si vous m'eussiez écrit que vous ne me remettriez la somme qu'après l'avoir reçue vous-même, parce que M. B*** de Montpellier (quoique je ne le connaisse pas) me connaît assez pour m'avoir prêté pendant une quinzaine dix fois la somme que je désirais.

Je suis, cher J***, votre ami, qui vous souhaite toutes sortes de prospérités.

L. S.

vingts, trois-vingts pour exprimer quarante, soixante, etc. On s'est servi jadis de six-vingts, sept-vingts, huit-vingts, et même jusqu'à dix-neuf vingts, et quelques personnes disent encore six-vingts. Quatre-vingts est maintenant le seul de ces multiples de vingt que l'on emploie; on ne pourrait même pas l'exprimer autre

ment.

(1) Mon bon ami attendait PEUT-ÊTRE la certitude, etc. Cet adverbe dubitatif se met toujours avec le trait d'union, et se joint le plus souvent avec un que : PEUTÊTRE que oui, PEUT-ÊTRE que non, PEUT-ÊTRE qu'il viendra. Cependant il est permis de dire : PEUT ÊTRE viendra-t-il. (L'ACADÉMIE.) Je ne crois pas qu'il vienne, mais PEUT-ÊTRE il viendra, ou mais il viendra PEUT-ÊTRE; ces deux phrases seraient aussi de bon français. Mais PEUT-ÊTRE qu'il pourra venir, membre de phrase où le verbe pouvoir serait modifié par peut-être, ne serait pas bon français.

(2) Prendre en bonne part, se dit en anglais to take kindly; prendre en mauvaise part, se rend par to take unkindly. Voyez Othello, scène 4.

CORRESPONDANCE.

22

22

LETTER XXVIII.

From L. Sterne to Mrs. Sterne.

Paris, June 14th, 1762.

My dearest,

Having an opportunity of writing by a friend who is setting out this morning for London, I write again, in case the two last letters I wrote this week to you, should be detained at Calais by contrary winds. I have wrote (1) to Mr. E by the same hand, to thank him for his kindness to you (2), in the handsomest manner I could; and have told him his heart, and his wife's, have made them overlook (3) the trouble of having you at his house, but that if he takes you apartments near him, they will still have occasion enough left to shew their friendship to us.

I have begged him to assist you, and stand by you as if he was in my place, with regard to the sale of the Shandys (4); and then the copy-right (5). Mark to keep these things distinct in your head; but Becket, I have ever found to be a man of probity, and I dare say, you will have very little trouble in finishing matters with him; and I would rather wish you to treat with him than another man; but whoever buys the fifth and sixth volumes of the Shandys,

(1) Wrote; written serait plus élégant et plus correct.

(2) Cette phrase n'est pas bien construite; elle manque de clarté; la tournure adverbiale ne doit pas être ainsi séparée du verbe qu'elle qualifie, car on ne peut pas dire, I thank him for his friendship kindly; mais, I thank him kindly for... On devrait donc dire: I have written to Mr. E. to thank him, in the handsomest manner, for his kindness.

(3) To look, v. a., voir, regarder, observer. To overlook, ne pas s'apercevoir. (4) Les noms terminés en y précédés d'une consonne doivent changer y en ies au pluriel.

(5) Copy-right, droit d'un auteur sur son ouvrage.

LETTRE XXVIII.

M. Sterne à madame Sterne.

Ma très-chère,

Paris, 14 juin 1762.

Trouvant l'occasion de vous écrire par un ami qui part ce matin pour Londres, je vous écris encore, de peur que mes deux dernières lettres ne soient retenues à Calais par des vents contraires. J'écris par la même occasion à M. E*** pour le remercier de mon mieux de ses bontés envers vous; je lui dis aussi que la générosité de son cœur (1) et du cœur de sa femme leur a fait oublier l'embarras qu'a dû leur causer votre séjour chez eux; mais s'il loue un appartement pour vous dans leur voisinage, il leur restera assez d'occasions pour nous témoigner leur amitié.

Je l'ai prié aussi de vous aider et de me représenter dans l'affaire de la vente de Shandy (2), et dans celle du droit d'auteur. Ne manquez pas de vous classer toutes ces choses bien distinctement dans la tête (3). Comme j'ai toujours trouvé en Becket un homme de probité, et que je ne crois pas que vous ayez beaucoup de difficultés pour terminer avec lui, j'aime mieux que vous ayez affaire avec lui qu'avec tout autre: cependant, celui qui achète le cinquième

(1) Le lecteur s'apercevra facilement que cette lettre est une de celles qu'il était le moins possible de traduire littéralement. And I have told him his heart, and his wife's, have made them overlook the trouble of having you at his house, etc Cette phrase était loin de pouvoir être traduite servilement; traduite ainsi elle eût été en français « Et je lui ai dit que son cœur et celui de sa femme leur avaient fait inapercevoir la peine (l'embarras) de vous avoir dans sa maison. »>

(2) Shandy, c'est-à-dire l'ouvrage ayant pour titre : Tristram Skandy, dont nous avons déjà parlé.

(3) Ne manquez pas de vous classer toutes ces choses bien distinctement dans la tête. Cette tournure française est la même que celles-ci : Il se cassa le cou (he broke his neck); il se coupa la main (he cut his hand). J'extrais ce qui suit de la Grammaire de NOEL et CHAPSAL. « Les adjectifs possessifs son, sa, ses, doivent être remplacés par l'article quand le sens ind que clairement quel est l'objet qui possède : Pierre s'est cassé la jambe. »

must have the nay-say (1) of the seventh and eighth. I wish when you come here, in case the weather is (2) too hot to travel, you could think it pleasant to go to the Spa for four or six weeks, where we could live for half the money we should spend at Paris. After that we could take the sweetest season of the vintage to go to the south of France; but we will put our heads together (3), and you shall just do as you please in this, and in every thing which depends on me; for I am a being perfectly contented, when others are pleased; to bear and forbear (4) will ever be my maxim: only I fear the heats through a journey of five hundred miles, for you and my Lydia more than for myself.

Do not forget the watch-chains; bring a couple for a gentleman's watch likewise: we shall lie under great obligations to the abbé M-, and (5) must make him some acknowledgment; according to my way of flourishing (6), 'twill be a present worth a kingdom (7) to him. They have bad pins and vile needles here; bring (8) for yourself, and some for presents; as also a strong bottle-screw (9) for whatever scrub (10) we may hire as butler or coachman to uncork (11) our Frontignac. You will find a letter for you at the Silver Lion. Send for your chaise into the court-yard, and see all is right. Buy a chain at Calais, strong enough not to be cut off; and let your portmanteau be tied on the

(1) Nay-say, offre, choix, préférence, permission de refuser; de nay, non, et say, dire: nous disons aujourd'hui the refusal, le refus.

(2) Is pour should be, soit.

(3) To put our heads together, mot à mot: Mettre nos têtes ensemble, avoir un tête-à-tête. Cette locution est très-familière.

(4) To bɛar, v. a., porter, supporter; to forbear, v. a. et n., se contraindre, s'abstenir, être indulgent.

(5) We sous-entendu.

(6) To flourish, v. n., parler ou écrire en style pompeux, amplifier.

(7) Kingdom, royaume; composé de king, roi, et dom, domaine. Voyez la Grammaire pratique, Terminaisons des noms.

(8) Some sous-entendu.

(9) Bottle-screw, ou mieux, cork-screw, tire-bouchon.

(10) Scrub, s., mauvais sujet, drôle (familier).

(14) To uncork, v. a., déboucher une bouteille; de cork, s., bouchon, et un privatif.

et le sixième volume de Shandy doit avoir l'offre du septième et du huitième. Si, à votre arrivée ici, vous trouviez qu'il fait trop chaud pour voyager, vous feriez bien de passer un mois ou six semaines à Spa, où nous pourrions vivre pour la moitié de l'argent que nous dépenserions à Paris. Après cela nous pourrions prendre la belle saison des vendanges pour aller dans le midi de la France; mais nous discuterons la chose ensemble, et vous ferez précisément comme il vous plaira, aussi bien dans cette affaire que dans tout ce qui dépend de moi; car je suis parfaitement content quand je puis contenter (1) les autres. Porter et supporter sera toujours ma maxime. Je crains cependant les chaleurs pendant un voyage de cinq cents milles (2), plutôt pour vous et pour ma chère Lydia que pour moimême.

N'oubliez pas les chaînes de montre; apportez-en aussi une couple (3) pour une montre d'homme; car nous aurons de grandes obligations à l'abbé M***; il faut lui en témoigner quelque reconnaissance, et par ma manière de faire ce cadeau, il vaudra pour lui un royaume. On ne trouve ici que de mauvaises épingles et de misérables aiguilles ; apportez-en non-seulement pour vous, mais encore pour cadeaux; n'oubliez pas un tire-bouchon pour le drôle, quel qu'il soit, que nous prendrons comme sommelier ou cocher, pour qu'il nous débouche notre frontignan. Vous trouverez une lettre pour vous au Lion d'argent; faites entrer votre chaise dans la cour, et assurez-vous que tout est comme il faut. Achetez à Calais une chaîne assez forte pour qu'on ne puisse pas la couper (4), et faites attacher (5) votre porte

(1) Car je suis parfaitement content quand je puis contenter les autres. Au lieu de faire ici l'effet d'une espèce de pléonasme, content et contenter rendent bien la satisfaction d'un homme qui se complaît dans le bonheur d'autrui.

(2) Cinq cents milles : c'est que madame Sterne était à York, dans le nord de l'Angleterre, et à cent lieues à peu près de Londres.

(5) Une couple. Le mot couple est des deux genres: féminin quand il signifie une paire. Ex. Une couple d'oeufs, une couple de bœufs. Masculin quand il y a union morale, ou vie commune chez l'homme ou chez les animaux. Ex. Un couple bien uni, un couple de pigeons.

(4) Pour qu'on ne puisse pas la couper. Cette tournure est active, et nous la préférons en français à la tournure passive anglaise: not to be cut off.

(5) Et faites attacher. Même observation. Let your portmanteau Be tied.

« PreviousContinue »